Des catholiques dans une mosquée, des musulmans dans une église et une ambiance conviviale : c’était « fraternité en fête », une première journée de rencontre entre croyants organisée le 9 juillet. Reportage.
«Il y a presque plus de monde qu’à la messe ! », plaisante le père Jacques Simon au micro de l’église Sainte-Thérèse. Sur les bancs face à lui, une centaine de personnes. Il y a des membres de la paroisse stéphanaise, bien sûr, mais aussi des femmes voilées et des hommes en djellaba. Ce sont les fidèles de la mosquée voisine. En cette chaude journée du 9 juillet, les deux communautés inaugurent « fraternité en fête » : un premier après-midi de rencontres avec barbecue, jeux en plein air, puis visites de l’église et de la mosquée.
Juchés sur le plateau du Madrillet, c’est tout juste si les deux édifices ne se touchent pas. Et pour cause : c’est la paroisse qui a cédé une partie de son terrain à l’association cultuelle musulmane à la fin des années 1990. Voilà donc un quart de siècle que les deux communautés entretiennent de très bonnes relations de voisinage, et pourtant : c’est la première fois aujourd’hui que certains musulmans ou catholiques mettront les pieds dans une église ou une mosquée. De quoi faire naître des échanges originaux. « S’il y a des questions que vous avez toujours voulu poser, c’est l’occasion ! », embraye cette fois Louis de Mongrand.
Point d’orgue
Vêtu de l’habit traditionnel de prêtre — avec son col romain reconnaissable — c’est le vicaire de la paroisse (le secondant du prêtre, NDLR). Comme Jacques Simon qui vient de faire répéter un chant catholique à la foule (La paix elle aura ton visage), le vicaire maîtrise lui aussi l’art du show. « Oui ? Comment fait-on la prière ? Excellente question ! », sourit-il à la femme musulmane qui l’interroge. Avec cette première question, la journée vient d’atteindre son point d’orgue : pendant l’heure qui va suivre, catholiques et musulmans ne vont plus cesser de se questionner, apprendre à se connaître et se reconnaître.
« Il y a deux types de prières, collective et personnelle. Comme chez vous j’imagine… », explique le vicaire avant de détailler, puis d’exaucer les nombreuses mains qui se lèvent. « Vous ne vous purifiez pas avant de prier ? » ; « Vous ne pouvez pas vous marier ? » ; « Y a-t-il un appel à la prière ? » ; « Priez-vous dans une direction particulière ? » Après une grosse demi-heure d’échanges, une jeune fille aimerait enfin qu’on lui explique la trinité : « Ah oui. Ça, on ne le comprendra jamais assez… Il s’agit du père, du fils et du Saint-Esprit. Notre Dieu est trois personnes. Elles sont unies dans un lien d’amour et tout ça forme un seul Dieu, en trois personnes. » Des rires résonnent sur les bancs. « J’ai bien conscience que pour vous ça paraît dingue mais c’est notre foi. Il y a un soleil, des rayons et la chaleur. Trois manières de voir le soleil mais un seul astre, ça vous laisse peut-être avec plus de questions qu’en entrant ! »
Un mosquée « symbole d’amitié »
Direction la mosquée où chacun enlève ses chaussures avant d’entrer. Pourquoi ? « Bonne question ! Nous prions en posant notre front sur le sol, c’est pour ne pas salir le tapis », explique simplement Karim, fidèle de la mosquée qui anime la visite. Vêtu d’une belle djellaba bleue, il est bénévole de l’association cultuelle musulmane stéphanaise. « Bienvenue dans la mosquée de notre belle ville qui symbolise l’amitié et la fraternité entre chrétiens et musulmans ! » Assise sur l’épais tapis décoré, la foule l’écoute religieusement.

« En arabe, les mots pour désigner mosquée signifient lieu qui rassemble et lieu de prosternation. Cette salle principale où viennent prier les hommes peut accueillir 500 personnes. On compte cela dit jusqu’à 1000 personnes pour la prière du vendredi et le sermon de l’Imam. Pour les fêtes comme l’Aïd, c’est 2000 personnes, l’église nous prête alors une partie de son terrain. »
Une différence qui rassemble
Dans le mur derrière lui, Karim présente le Mirhab, une arche qui indique notamment la direction pour prier, puis le Minbar : petite estrade d’où l’Imam prononce son sermon. À sa gauche, un écran indique les horaires des cinq prières quotidiennes obligatoires. « Comment faites-vous la prière ? », demande une paroissienne qui a accepté de mettre un voile en entrant dans la mosquée. « Bonne question ! », répond Karim en invitant son homologue Wassim à faire une démonstration. L’échange se fait désormais dans le sens des musulmans vers les catholiques. Captivé, le public fait alors surgir une question immense : « Quelle est la différence principale entre l’islam et le christianisme ? ». Question devant laquelle Karim ne vacille pas : « Avant de parler des différences, je vais parler de ce qui nous rassemble… Même si c’est la même chose qui a créé les deux : c’est Jésus. Le musulman, sachez qu’il croit en Jésus, il croit en la sainte Vierge Marie. On aime Jésus, c’est ce qui nous rassemble. En revanche, même si on estime qu’il est un prophète et que c’est une des meilleures personnes de l’humanité, il n’a, pour nous, rien de divin, comme Abraham et d’autres ».

Nul doute que si les jours duraient 48h, les échanges auraient pu se poursuivre encore longtemps. Après la visite, chrétiens et musulmans continuaient à s’interroger en petits groupes. Certains ajoutaient des messages sur la fresque participative spécialement mise en place entre la mosquée et l’église. On pouvait notamment lire : « comment peux-tu aimer un dieu que tu ne vois pas, si tu n’arrives pas à aimer un frère que tu vois ? ».
COMPRÉHENSION
« Est-ce qu’on va assez loin ? »
Invité par les responsables des deux cultes, le maire stéphanais Joachim Moyse n’a pas caché son plaisir de voir ainsi se concrétiser la devise de la Ville « Mieux vivre ensemble » : « Cette journée montre à quel point il est tout à fait possible de créer des moments de rencontre pour tendre les mains les uns aux autres. On a besoin de ça pour se connaître, créer une cohésion sociale et donner un sens à notre communauté de vie », commente le maire. « Je me rappelle le message qu’Hubert Wulfranc (maire de la Ville en fonction lors de l’attentat de 2016, Joachim Moyse étant alors 1er adjoint, NDLR) m’a confié en 2016 : à Saint-Étienne-du-Rouvray, on a travaillé les questions de compréhension entre les croyants mais on ne s’est pas dit « est-ce qu’on va assez loin ? »» . Pour moi, cette initiative et celles pour la paix sont une façon de poursuivre sa volonté quant à la nécessité de se réinterroger et d’aller plus loin sur ces questions ».