Evacuation de l’immeuble Sorano : «Une priorité humaine vitale»

Joachim Moyse maire
Joachim Moyse maire

Le maire Joachim Moyse a signé, ce jeudi 5 septembre, un arrêté prononçant l’évacuation de l’immeuble Sorano. D’ici fin septembre, les familles qui y résident encore devront avoir déménagé. L’immeuble sera dès lors muré et voué à démolition. Interview.

Pourquoi avez-vous pris la décision d’évacuer Sorano ?

Joachim Moyse : L’immeuble Sorano est bien connu comme étant un lieu d’habitats non seulement dégradés et insalubres mais aussi un lieu où les habitants ne se sentent pas en sécurité. Un grand nombre d’incidents, d’accidents et même d’incendies se sont produits ces derniers temps, ils ont été de plus en plus nombreux. Le dernier en date est un incendie survenu le 12 juillet dans un appartement, sans victime heureusement. C’est suite à cet incendie que j’ai voulu examiner les conditions de mise en sécurité de l’ensemble des occupants de cet immeuble. L’évacuation s’est alors imposée comme le seul moyen de mettre ces familles à l’abri du danger.

Pourquoi l’arrêté est-il pris aujourd’hui ? Que s’est-il passé depuis la mi-juillet ?

J.M.: L’arrêté que je signe, sur le fondement des pouvoirs de police du maire, ne poursuit qu’un objectif: éviter un drame humain. Si aujourd’hui je prends la responsabilité d’évacuer l’immeuble, c’est parce que je peux appuyer ma décision sur des rapports d’experts. Dans l’un, il est stipulé que « le bien dans son état actuel présente un danger grave pour la sécurité des tiers », dans l’autre sont répertoriés les nombreux désordres et usages à risques pour les occupants qui existent: branchements électriques sauvages, équipements électriques communs dégradés dangereux, équipements de sécurités dégradés, cages d’escaliers sans ascenseurs depuis des années et sans lumière, traces de départs de feux… Cet arrêté est également le fruit d’un dialogue avec la préfecture.

La décision a été difficile à prendre ?

J.M.: Prendre une décision qui a pour conséquence de faire partir les habitants dont certains occupent leur logement depuis des décennies est nécessairement une décision extrêmement compliquée. Il faut avant tout prendre en compte le traumatisme que certains peuvent vivre du fait de l’évacuation. Mais notre priorité, c’est une priorité humaine vitale. Le danger porte ici sur la vie des habitants. Je pense que personne ne peut reprocher à la Ville cette prise de responsabilité quand la priorité est la vie humaine.

Les personnes évacuées sont-elles accompagnées dans leur relogement ?

J.M.: Bien sûr et c’est notre priorité. En septembre 2018, une enquête sociale était ouverte afin d’inscrire l’ensemble des occupants de l’immeuble en possession d’un bail et les propriétaires occupants dans un plan de relogement. Depuis des mois ce travail, visant à terme le relogement de ces personnes, est en cours avec les services de la Ville et le Caps, une association spécialisée dans l’accompagnement et le suivi social des familles. Je tiens d’ailleurs à remercier chaleureusement les bailleurs sociaux et les services de la Métropole très mobilisés dans cette phase de relogement. Certaines familles ont déjà trouvé un nouveau logement, ou y emménageront bientôt, d’autres ont refusé des propositions, mais les choses avancent ! Ceux pour qui une solution n’aurait pu être rapidement trouvée, il faudra peut-être envisager un relogement transitoire. Concernant les personnes non inscrites au plan de relogement – arrivées après la clôture de l’enquête sociale, installées sans droit ni titre dans un appartement inoccupé…, la Préfecture nous a clairement fait savoir qu’elle appliquerait le droit commun, selon les situations individuelles.

Avec cette décision d’évacuer l’immeuble, ce processus de relogement s’est naturellement accéléré et s’intensifie encore à partir d’aujourd’hui. L’objectif étant que cette phase d’évacuation, qui va prendre quelques jours, se passe dans les meilleures conditions humaines possible. C’est pour cela que les équipes municipales et le Caps mettent en place, dès aujourd’hui et le temps que cela sera nécessaire, des permanences individuelles afin de répondre aux questions pratiques et concrètes des habitants de Sorano. Une ligne téléphonique dédiée est également mise en place pour ne laisser personne seul avec ses questions.

Qui est responsable de cette situation ?

J.M.: La politique du « tous propriétaires » a produit des effets qui peuvent s’avérer néfastes au vivre ensemble dans certaines copropriétés privées. Mais dans le cas de Sorano, la responsabilité incombe d’abord à certains propriétaires bailleurs qui n’ont pas assumé leur rôle en ne payant pas les charges nécessaires au bon entretien de l’immeuble et de sa mise aux normes. La non réalisation d’opérations de maintenance et d’amélioration du confort des habitants a entraîné, en quelques années, des désordres très graves. Ce sont ces désordres qui ont mis en question la sécurité des occupants.

Qui sont ces propriétaires ?

J.M.: Ce sont des marchands de sommeil. Ils utilisent ce système du « tous propriétaires » pour faire du profit sur le dos des locataires et cela sans aucun égard pour la sécurité d’autrui. Ensuite, face à ces comportements sans aucun scrupule, on a vu s’enclencher un effet de cercle vicieux : les mauvais payeurs ont entraîné les bons payeurs à stopper le règlement de leurs charges. Ils constataient que leur bien se dégradait malgré leur bonne volonté… Ils avaient le sentiment de payer en pure perte.

En novembre dernier, le secrétaire d’État à la politique de la Ville, Julien Denormandie, était en déplacement à Saint-Étienne-du-Rouvray. Il disait alors vouloir « déclarer la guerre aux marchands de sommeil » et vouloir les « traiter comme des trafiquants de drogue ». Dix mois plus tard, les marchands de sommeil de Sorano ont-ils été sanctionnés ?

J.M.: Des mesures ont été prises contre des marchands de sommeil. D’ores et déjà, certains ne perçoivent plus les APL [Allocations personnalisées au logement, ndlr]. Ces allocations ont été réquisitionnées. Ensuite, et c’est encore une mesure expérimentale à l’étude au niveau de la Métropole, il conviendrait de mettre en place un permis de louer. C’est une mesure inscrite dans la loi Élan, elle exigerait que le propriétaire respecte certaines conditions avant d’être en droit de mettre son bien en location. Maintenant, il faudrait bien sûr que le législateur soit en pouvoir de s’attaquer à la fortune personnelle des marchands de sommeil. Cette mesure s’applique déjà aux trafiquants de drogue quand il est prouvé que leurs biens ont été payés avec de l’argent sale. Elle permettrait de récupérer plus efficacement l’argent qui a manqué à l’entretien des immeubles et à la mise en sécurité de leurs occupants.

Y a-t-il d’autres Sorano en puissance à Saint-Étienne-du-Rouvray ?

J.M.: C’est un risque que j’ai pointé lorsque j’ai rencontré le secrétaire d’État Julien Denormandie à Paris en juillet 2018. Je lui ai parlé de l’effet domino que provoquerait le report du problème de Sorano sur les autres immeubles de la copropriété Robespierre ou sur d’autres copropriétés du Château blanc. C’est suite à ce dialogue avec le secrétaire d’État que le Château blanc a été reconnu comme devant relever d’un dispositif national exceptionnel. Le ministre a répondu favorablement à ma demande. Il a inscrit le Château blanc comme l’un des quatorze quartiers de France bénéficiant du plan « Initiative copropriétés ».

Concrètement, que signifie ce plan ?

J.M.: Concrètement, ce sont des moyens financiers supplémentaires donnés à l’Agence nationale de l’habitat (Anha). Ce sont 2,74 milliards d’euros sur 10 ans destinés à intervenir au cas par cas dans les territoires concernés. Ce sont aussi des moyens humains d’expertise qui permettent d’appréhender chaque situation de façon très fine. À Saint-Étienne-du-Rouvray, la Ville s’est engagée de façon volontariste avec pour priorité la question humaine. Mais cela ne peut pas et ne doit pas relever de sa seule responsabilité. La question des copropriétés est une compétence de la Métropole et en deuxième lieu de l’État.

 

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