“Le procès fait resurgir des choses”

Jacques Simon, curé de Saint-Étienne-du-Rouvray depuis septembre 2021. Photo Jean-Pierre Sageot

Le 14 février s’ouvre le procès de l’attentat terroriste qui a coûté la vie au père Hamel le 26 juillet 2016. Nous avons décidé de donner la parole au père Jacques Simon, curé de la paroisse depuis septembre dernier. 

(Dans Le Stéphanais n° 292, à sortir le 17 février, vous pourrez retrouver l’interview de Jacques Simon croisée avec celle de Mohammed Karabila, président de la mosquée de Saint-Étienne-du-Rouvray)

Quel a été votre parcours avant d’arriver à Saint-Étienne-du-Rouvray ?

J’ai été nommé au printemps dernier et installé officiellement le 5 septembre 2021. Je connaissais déjà la paroisse de Saint-Étienne-du-Rouvray, j’y ai été vicaire de 1990 à 1994, plutôt à Sainte-Thérèse-du-Madrillet. Et avant, j’étais curé sur les communes de Déville-lès-Rouen, Maromme, Notre-Dame de Bondeville et Canteleu. C’est de là-bas que j’ai suivi ce qui s’est passé à Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet 2016. Quand on a dit qu’on prêtre âgé avait été égorgé, j’ai su que c’était Jacques. On se connaît tous. On s’était croisés à des sessions, des repas entre prêtres. Je l’ai vu pour la dernière fois le jeudi de l’Ascension en 2016. On faisait une marche avec les chrétiens du diocèse, et je me souviens avoir marché à ses côtés pendant un kilomètre, en parlant de la pluie et du beau temps. Depuis six ans, j’ai suivi les choses avec un lien, une communion, je connais les enfants et les petits-enfants de Guy Coponet.

Comment s’est passée votre nomination à Saint-Étienne-du-Rouvray ? Avec une appréhension de votre côté ?

C’est l’évêque qui nomme les prêtres. Certains seront plus à l’aise en milieu rural, ou en ville. Moi je suis dans l’agglomération rouennaise depuis plus de 30 ans. Quand j’ai été nommé, l’évêque savait que j’étais déjà passé par Saint-Étienne-du-Rouvray. On se donne le temps de la réflexion, puis on donne une réponse. Quand j’ai accepté et que ça s’est su, des gens me demandaient si je n’avais pas peur d’aller à Saint-Étienne-du-Rouvray. Je n’ai jamais eu cette appréhension, elle est venue de personnes extérieures à la commune. J’ai donc répondu à l’évêque que c’était beaucoup d’honneur et de confiance qu’il m’accordait.

Et votre arrivée ?

En septembre, j’ai pris en charge la paroisse, mais je suis aussi curé de Oissel. Dès cet été, j’ai rencontré les maires des deux villes, parce que c’était important de me présenter à eux. Le 8 septembre, j’ai été accueilli à Sainte-Thérèse-du-Madrillet, mais deux ou trois jours après je célébrais la messe à l’église Saint-Étienne, dans le centre, sous le regard du père Jacques Hamel, en lui demandant de me donner un peu de sa force. Cette première fois, au moment de monter à cet autel où il a été assassiné, il y a eu une émotion intérieure. C’est notre corps, comme prêtre, qui a été touché. Le lendemain de l’attentat, je célébrais la messe et je me suis dit « ça aurait pu être moi ». On est plusieurs prêtres à s’être dit ça.

Comment êtes-vous accueilli par les paroissiens ?

Depuis septembre, on fait connaissance. Ma mission est de faire vivre la paroisse, et celle de Oissel. Avec la particularité que cette paroisse a vécu quelque chose de dramatique. J’ai senti beaucoup de discrétion chez les paroissiens. On est dans le silence. J’ai bien sûr rencontré sœur Danielle et Guy Coponet, les témoins directs de l’attentat. Ils n’en parlent pas spontanément, mais ils sont amenés à témoigner auprès des pèlerins qui passent, des séminaristes, des écoles. Il faut les accueillir. Pas pour expliquer les faits, mais plutôt dire qui est Jacques Hamel, son humilité, sa discrétion. Il était présent, mais dans l’effacement, l’écoute. Cet homme si discret est passé à la face du monde du jour au lendemain… Lui qui ne voulait pas qu’on parle de lui…

Le procès de l’attentat commence le 14 février. La communauté catholique s’y prépare ?

De fait, le procès fait resurgir des choses. Les journalistes vont être à la sortie de la messe. Le diocèse est partie civile dans le procès. C’est une épreuve pour ceux qui ont vécu l’attentat de près, mais il y aussi des paroissiens qui peuvent analyser, qui ont du recul pour m’aider à comprendre comment la communauté vit les choses et a avancé. Nous voulons ce procès, il n’y a pas de pardon sans justice. Que la vérité soit faite. Dans la communauté, il y a de la colère intérieure et de l’incompréhension, mais pas de haine ni de déchirure. Les relations avec la communauté musulmane existent, avec de la bienveillance, de l’écoute. Je suis voisin de la mosquée, j’habite là-haut. Le jour de notre arrivée, entre les fidèles qui vont à la mosquée et nous qui allons à l’église, on s’est salués. Assez vite, nous avons été reçus par le président de la mosquée, M. Karabila. On est appelés à se revoir, pour des actions de solidarité, il y a des liens de proximité. J’ai des relations de voisinage et de bienveillance. Elles vont se développer avec le temps.

Il y a le procès et la pression médiatique, mais ça ne va pas m’empêcher de continuer ma mission. J’ai vraiment pris conscience de l’imminence du procès en décembre dernier, avant je n’y pensais pas. Ça a évolué un peu en moi. Je vais intégrer cette période dans ma pastorale. En rassemblant les paroissiens, par un accompagnement spirituel, un temps de prière le temps du procès. Je vais accompagner individuellement des personnes qui en ont exprimé le besoin. Ma chance, c’est que tout en étant en profonde communion avec le choc de ce drame, je n’en ai pas été un témoin direct. Je suis ému, mais je peux avoir du recul, de la hauteur, et mieux accompagner les fidèles. Je ne suis pas du tout insensible, mais j’espère contribuer à apporter de la sérénité.

Qu’attendez-vous du procès ?

On espère que le procès va faire connaître qui était Jacques Hamel. comment ce prêtre a répondu à sa vocation, avec ses richesses et ses fragilités humaines, sans faire de bruit. Ce chemin-là est aussi un chemin de sainteté. Comme d’autres de sa génération, il a été dévoué à l’église, toute sa vie. Il disait, « j’irai jusqu’au bout ». C’est une leçon sur la fidélité à ses engagements, le fait d’aller à l’essentiel dans nos vies. Qu’es-ce que ça veut dire « donner sa vie » ? Et le procès peut aider dans le processus de béatification.

Pendant cette période de campagne électorale, craignez-vous une récupération politique du procès de l’attentat ?

Certains ne vont pas se gêner. S’il y a de la récupération électoraliste, le diocèse saura leur répondre. Mais on s’y attend. Il y a une campagne très malsaine. C’est même très grave. Il y en a toujours qui profiteront de ça pour justifier leurs thèses. Chaque chrétien votera pour qui il veut, mais on ne peut pas être chrétien en pensant certaines choses, à mon avis. C’est aussi ma mission de faire en sorte que la communauté paroissiale ne se replie pas sur elle-même et soit en relation avec les autres communautés, musulmane en particulier. Ça a été dit à tous les échelons : l’attentat ne nous a pas divisés. Quand le père Hamel dit « va t’en Satan », ce n’est pas au jeune qu’il s’adresse, c’est à cette main qui vient d’ailleurs, cette radicalisation commanditée. Dire qu’il n’y a pas de haine, ce n’est pas de la mollesse. C’est dire qu’ils ne nous ont pas divisés, on n’est pas entrés en guerre de religion.

(Dans Le Stéphanais n° 292, à sortir le 17 février, vous pourrez retrouver l’interview de Jacques Simon croisée avec celle de Mohammed Karabila, président de la mosquée de Saint-Étienne-du-Rouvray)

 

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