Lubrizol: un an de «transparence»

L'incendie majeur parti d'un entrepôt de stockage de l'usine Lubrizol classé Seveso haut s’est déclenché à deux heures du matin, le 26 septembre 2019, et a été circonscrit vers 15h. Photo: Jean-Pierre Sageot.

Malgré les milliers de résultats d’analyses fournis par Lubrizol aux autorités et leurs conclusions a priori rassurantes, les collectifs citoyens s’organisent pour tâcher d’y voir clair sur les conséquences de l’accident industriel majeur, survenu il y a tout juste un an.

Le panache de fumée noire bourré d’hydrocarbures qui menaçait Rouen et ses environs le 26 septembre 2019 a atteint 22km de long et 6km de large. Dès le lendemain, la fumée s’était dissipée. Mais un an plus tard, un épais nuage de questions sans réponses pollue encore les esprits. Comment l’incendie s’est-il déclenché? Quelles seront les conséquences sur la santé à long terme? Les industriels responsables vont-ils payer? «On vit ici, on respire ici, on élève nos enfants ici. Les gens veulent savoir s’il faut quitter la région!», scande Simon de Carvalho, coprésident de l’Association des sinistrés de Lubrizol et porte-parole du Collectif Lubrizol. Ce groupe qui réunit 25.000 membres sur Facebook appelle à manifester le jour anniversaire du drame, afin d’exiger « vérité, transparence, protection des populations et justice aux autorités et à Lubrizol». Vérité et transparence semblent pourtant pleuvoir de toutes parts depuis douze mois. «Nous avons publié 265.000 résultats d’analyses, atteste Guillaume Gohier, manager HSE (hygiène, santé/ sécurité, environnement) de Lubrizol Rouen. Trente-neuf laboratoires ont examiné la totalité des prélèvements effectués dans l’air, l’eau, les sols, les poissons, les produits issus de l’agriculture… tout ce qui est possible et imaginable. Tout est disponible sur le site de la préfecture de la Seine-Maritime.»
Une profusion d’informations dont les conclusions devraient clore le débat : «Tous les résultats ont montré que l’on était très au-dessous des seuils de toxicité», promet Cyrille Mace de Lepinay, responsable du chantier remédiation (nettoyage, NDLR) de Lubrizol.

Circulez, il n’y a rien à voir? Le responsable des questions de santé au travail à la CGT de Seine-Maritime, Gérald Le Corre, ne mord pas à l’hameçon: «Depuis le début, on se bagarre sur la question de la transparence. Lubrizol ne joue pas le jeu. Ni sur les effets chimiques créés par les mélanges de produits qui ont brûlé, ni sur l’impact des débris de toitures en amiante qui sont parties en fumée, entre autres!». Pour les cadres de Lubrizol, une telle défiance des riverain·e·s paraît injustifiée: «L’accident a fait zéro blessé, zéro mort, tous les résultats sont publics, un comité de transparence a été mis en place très rapidement… c’est un dispositif unique, presque atypique, indique Guillaume Gohier. Lubrizol a investi cent millions d’euros en dix ans pour améliorer les conditions de sécurité. Nous continuons de nous imposer un niveau d’exigence qui va bien au-delà du cadre légal.»
En fait, l’incompréhension viendrait de la capacité du public à s’informer. «C’est sûr, les conclusions ne sont pas sur Facebook, émane le manager. On ne sait pas résumer une situation aussi complexe que celle-là en 140 caractères.» Et le responsable remédiation d’exagérer le trait: «C’est comme les platistes qui, malgré les preuves, ne veulent pas croire que la Terre est ronde.» Or, comme le rappelle lepoulpe.fr, c’est à l’industriel à l’origine de la catastrophe du 26 septembre que la préfecture de Seine-Maritime a confié la tâche de surveiller la pollution causée par l’incendie, comme l’indique cet arrêté préfectoral d’octobre 2019. Ce qui pose, de fait, la question de la transparence des résultats.

Aucune étude sur le long terme

D’ici fin 2020, Santé Publique France va recueillir le témoignage de 5.200 riverain·e·s tiré·e·s au sort afin «d’analyser les informations sur les événements de santé ressentis par les habitant·e·s au moment de l’accident et dans ses suites». Satisfaisant ? « Pour savoir si vous êtes malade, votre médecin doit-il faire un sondage ou des analyses?», répond le Collectif Lubrizol. Un an après, aucune étude sanitaire prévoyant des prélèvements sur le long terme n’est prévue. «La pression populaire doit s’exercer dans la rue afin d’obtenir un relais médiatique et des actes politiques», tempête Gérald Le Corre.

Dernièrement, le Collectif Lubrizol a pu rencontrer le député Hubert Wulfranc et le nouveau président de la Métropole. «On a besoin de leur aide pour obtenir des subventions, indique Simon de Carvalho. On veut pouvoir financer des prélèvements scientifiques nous-mêmes afin de fournir des éléments qui pourraient peser dans le dossier juridique.» Suite à une fuite toxique de gaz Mercaptan ressentie jusqu’à Londres en 2013, le groupe Lubrizol –dont le chiffre d’affaires annuel se compte en milliards– avait été condamné à payer 4.000 euros d’amende. «Si vous payez trente centimes après avoir grillé un feu rouge, vous ne respecterez pas plus le code de la route, résume le porte-parole. Il faut que Lubrizol puisse être condamné lourdement et que ce message passe auprès de tous les industriels : vous avez le droit de produire, mais il y a des conditions à respecter.»

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