Lubrizol: Retour sur une communication controversée

« La perte de confiance dans les politiques va aussi avec la perte de confiance dans les techniques. Ce n’est pas parce qu’on se rend compte qu’ils sont pourris qu’on perd confiance dans les politiques mais parce qu’on se rend compte qu’ils sont inefficaces et qu'ils s’appuient sur des technologies destructrices. » Déborah Cohen, historienne. Photo : Jean-Pierre Sageot.

La communication adoptée par l’État lors de l’épisode Lubrizol continue d’interroger. Deux universitaires rouennais analysent cette «défiance» qui brouille le lien État-citoyens.

Plus d’un mois après l’incendie de Lubrizol, bien des réponses restent dans le flou. Mais il est un aspect de la catastrophe dont les contours sont très nets: la manière dont les autorités de l’État ont «communiqué» pendant et après le sinistre.

«L’ordre public a été privilégié sur les enjeux sanitaires, étant entendu qu’il n’y avait pas de risques immédiats majeurs», dénonce le géographe Arnaud Brennetot, de l’université de Rouen.

Dans une interview à Paris-Normandie du 28 octobre, le préfet Pierre-André Durand réaffirmait en effet comme sienne cette doctrine qui a placé l’ordre public devant les précautions sanitaires:

«Nous aurions sûrement eu le 15 ou le 18 thrombosés. Nous aurions eu des gens sur les routes.»

En ne déclenchant pas les sirènes dès le début de l’incendie, le préfet de Seine-Maritime estime avoir évité des réactions de panique. Mais en privilégiant l’ordre public, n’a-t-il pas négligé les personnes dormant les fenêtres ouvertes et celles se levant très tôt?

Autre aspect également soulevé par l’universitaire: «On a externalisé le coût économique de la catastrophe sur la population et les collectivités locales.»

Sans consignes strictes de confinement, les salariés exposés aux fumées ont dû poser des jours de congés pour échapper aux émanations. Le nettoyage des espaces publics et privés a quant à lui été laissé à la charge des mairies et des particuliers.

Défiance mutuelle

Selon Arnaud Brennetot, ces choix sont ceux d’«un État qui pense rassurer à bon compte alors qu’il faudrait informer de façon responsable, faire de la pédagogie, produire des infos valides sur le plan scientifique…»

Et ce sont ces mêmes choix qui ont suscité des doutes, voire de la défiance, chez les citoyens, estime également sa collègue, l’historienne Déborah Cohen:

«L’intérêt économique commande que le monde tel qu’il est ne soit pas remis en cause, que la question même de l’industrie chimique ne soit pas posée, que la balance entre ce qu’elle apporte et ce qu’elle détruit ne soit pas faite […] de sorte que les autorités peuvent se convaincre qu’elles savent que le maintien de ce monde est bon pour nous toutes et tous […].»

Mais s’il existe un sentiment de défiance, c’est du côté de l’État qu’il serait le plus fort vis-à-vis des citoyens, écrivait le 3 octobre le sociologue Olivier Borraz sur le site The Conversation:

«Si défiance il y a à Rouen, c’est d’abord celle des autorités à l’encontre de la population. Celle-ci demeure, dans l’imaginaire des services de l’État comme chez nombre d’experts, fondamentalement irrationnelle, sujette à des réactions émotives, peu douée de raison en situation de crise.»

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