Des réseaux pas si sociaux

Photo: Jérôme Lallier

À l’heure où la Ville ouvre son compte Instagram, il est bon de s’interroger sur notre utilisation individuelle des réseaux sociaux. Facebook, Twitter ou TikTok prennent une place croissante dans nos vies. Leurs fonctionnalités nous séduisent, mais leurs algorithmes contribuent, selon les chercheurs, à déchirer le tissu social.

Cet article a été extrait du dossier paru dans le Stéphanais n° 301 

Lorsqu’on évoque Snapchat, Lakhdar Berrezkhami dégaine : « Le réseau social favori des jeunes ! » Le directeur de la structure jeunesse de la Ville, Le Périph’, connaît bien cette plateforme. « Le smartphone est devenu un prolongement de la main de nos jeunes et il est parfois difficile de le leur faire lâcher pour se concentrer pleinement sur nos activités. » La règle : laisser les portables dans les poches pendant les ateliers et ne les sortir que pour immortaliser des événements festifs. « Mais être sur les réseaux sociaux, c’est aussi pouvoir communiquer nos programmes et inviter les jeunes à y participer. Il faut qu’on investisse le terrain », souligne-t-il, révélant ainsi notre rapport ambivalent à ces réseaux numériques.

Hyperconnexion, le fléau numérique

Le phénomène est global. 59,3 % de la population mondiale utilise des réseaux sociaux. Le pourcentage est assez impressionnant quand on sait que 63,5 % de la population mondiale utilise internet. Selon le rapport 2022 de We Are Social et Hootsuite, on passe ainsi deux heures et demie en moyenne par jour sur ces réseaux, un phénomène qui s’est amplifié avec le confinement alors que les utilisateurs ont cherché à pallier l’isolement, l’ennui et le manque de lien concret. Mais les réseaux sociaux viennent-ils vraiment combler ces manques ?

Si l’usage équilibré de ces plateformes permet de resserrer les liens réels avec les autres, son utilisation excessive peut vampiriser notre quotidien. Les 3 milliards d’utilisateurs de Facebook passent ainsi en moyenne une heure par jour sur la plateforme, soit sept heures par semaine, l’équivalent d’une journée d’activité. Selon une étude du CNRS en 2021, les jeunes sont les plus exposés mais aussi les cadres pour qui le travail se prolonge à la maison, favorisé par ces plateformes qui les maintiennent en veille constante. Une hyperconnexion peut alors engendrer des troubles du sommeil et de la concentration. Sur les réseaux sociaux, on oublie la notion de temps, d’où la difficulté de se rendre compte d’une dépendance progressive.

En moyenne, les 16-25 ans passeraient entre trois et cinq heures par jour sur les réseaux sociaux. (photo: Jérôme LALLIER)

Quand l’utilisateur devient un produit

Il faut être conscient que le but de ces plateformes est de vendre nos données. David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, écrit que « ces réseaux gratuits font de l’utilisateur un produit et ont pour but de valoriser nos données auprès d’annonceurs ou de puissances politiques » (Toxic data, éd. Flammarion). En se connectant aux autres, nous créons un lien social qui sera utilisé par les réseaux pour vendre de la publicité ciblée. « Ainsi, les plateformes nous montrent un ensemble d’informations sélectionnées en fonction de leurs intérêts et non des nôtres », poursuit-il. L’enjeu est donc majeur pour ceux qui veulent avoir une influence financière ou politique. Barack Obama a ainsi été l’un des premiers à appuyer sa campagne de 2008 sur l’analyse des réseaux sociaux. Le Brexit doit aussi une partie de son aboutissement à leur utilisation massive et le parti politique Reconquête a eu recours à des publicités ciblées, en 2022, sur Facebook pour mettre en avant des contenus et dominer le débat sur des thématiques comme l’immigration.

Des réseaux qui divisent socialement

Pour David Chavalarias, les plateformes encouragent sans cesse les contenus négatifs. Elles s’appuient sur ce que les psychologues appellent « le biais négatif », c’est-à-dire notre propension à accorder plus d’attention aux contenus négatifs, sources de danger, plutôt qu’aux contenus positifs et neutres. En amplifiant ce phénomène, les réseaux sociaux engendrent des rapports plus conflictuels, une hostilité accrue et une radicalisation des positions. « Les réseaux sociaux amplifient par ailleurs la notion de groupe en associant des utilisateurs qui pensent de la même façon, ce qui mène à des espaces d’informations qui fonctionnent en vase clos, comme une chambre d’écho », analyse-t-il, nous donnant l’impression que l’information que l’on reçoit est représentative d’un fait général. Ce double mouvement d’interaction consensuel avec ceux qui pensent comme nous et conflictuel avec ceux qui pensent différemment, est, selon lui, le terreau d’un déchirement social et d’une mise en danger de nos démocraties, où le débat n’a plus sa place.

Des projets de législation

En octobre 2021, la lanceuse d’alerte Frances Hauguen, ex-salariée de Facebook, dévoile des milliers de documents qui montrent que le groupe californien est conscient du potentiel nuisible de ses réseaux sociaux (contenus toxiques sur Instagram pour les adolescents, désinformation mettant en péril nos démocraties…) tout en choisissant de les ignorer, en partie, pour préserver ses profits. Des voix s’élèvent alors pour une régulation des grandes plateformes numériques par les États. C’est ce que fait l’Union Européenne en se dotant, le 16 novembre dernier, du Digital Services Act (DSA). Cet outil renforce les obligations de modération des plateformes en ligne en Europe et favorise une utilisation plus transparente et plus sûre de ces réseaux.

L’hyperconnexion peut engendrer des troubles du sommeil et de la concentration. (photo: Jérôme LALLIER)

Les jeunes en ligne de mire

C’est la génération Z, âgée de 16 à 25 ans, qui est la plus touchée par l’utilisation intensive des médias sociaux. Selon une étude Ipsos de 2022, 40 % des jeunes affirment y passer entre trois et cinq heures par jour, avec une dépendance qui s’intensifie : seulement 12 % des interrogés estiment pouvoir s’en passer à très court terme, contre 42 % fin 2020.

Les réseaux sociaux sont officiellement interdits aux enfants de moins de 13 ans. En France, la loi impose une autorisation parentale pour ouvrir un compte entre 13 et 15 ans afin d’éviter l’exposition et l’utilisation de la vie privée des enfants ainsi que les dérives du harcèlement numérique. En réalité, 87% des enfants français de 11-12 ans y ont un compte et publient du contenu régulièrement (étude Heaven, Born Social 2021-22).

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