Pouvoir d’achat: les crises ont un prix

Plus chers au départ, les œufs, fruits ou légumes vendus par les producteurs locaux sont moins soumis à l’augmentation des prix. © Jean-Pierre Sageot

Sur les rayons des commerces, à la pompe à essence ou dans les têtes, la hausse des prix est partout cet été. La faute d’abord au Covid puis à la guerre en Ukraine, et la canicule n’a rien arrangé. Une loi a été votée début août pour aider les Français (et les collectivités locales) qui s’appauvrissent. Suffira-t-elle à garantir le pouvoir d’achat ?

Article extrait du dossier paru dans Le Stéphanais n°297

Un poil vexé, Christian quitte le marché du Madrillet d’un pas pressé. Il vient d’essayer de marchander des abricots pour faire de la confiture. Il est 13h mercredi 10 août, les commerçants remballent, c’est normalement l’heure des bonnes affaires. Cinq euros les 3,5 kg d’abricots ? Trop cher pour Christian. « Je les voulais à un euro le kilo. Un pot de confiture c’est 1,80 euro, je ne peux pas les payer trop cher pour que ce soit rentable. L’an dernier, le vendeur me les aurait fait à un euro le kilo. C’est sûr ». Pas de pot : il s’en est passé des choses depuis l’été 2021. Et elles semblent se résumer en un seul mot : inflation.

Partout, les prix se sont envolés et tout le monde est d’accord là-dessus. Il suffit de demander : « Avez-vous constaté une hausse des prix ? » Réponse de Kadidja Berraou, 42 ans, Stéphanaise et mère de deux enfants, venue faire ses courses au marché du Madrillet : « Ah bah oui ! On l’a beaucoup ressenti. Entre l’essence, les fruits et les légumes, c’est devenu très très cher ! ». Même question à Claudine Vaillant, retraitée vivant à Oissel qui, elle, achète ses légumes aux Serres stéphanaises. Même réponse : « Ah bah oui ! On fait attention. Avant on se faisait un petit plaisir, maintenant on va à l’essentiel. » Même Michel Chabois, également client des Serres stéphanaises, qui confie avoir moins de problèmes de porte-monnaie que d’autres : « Moi honnêtement je ne suis pas trop regardant sur les prix, mais c’est clair que ça a bougé. Je regarde un peu plus ce que j’achète. »

Magasins discount : une fausse bonne idée ?

Pour faire leurs courses, nombreux sont celles et ceux qui privilégient désormais les magasins discount (comme Aldi ou Lidl), ou les magasins dits de « hard-discount » (comme Action et Marc est content). Autant d’enseignes, toutes présentes à Saint-Étienne-du-Rouvray, qui vendent de tout, à des prix extrêmement bas.

Mais comment bradent-elles leurs prix ? « Ce sont des grossistes , explique le gérant d’un commerce d’alimentation générale du bas de la ville. Ils achètent en très grande quantité, ils réduisent le nombre d’intermédiaires. Le hard discount vise les fins de stocks, les invendus, les produits dont la date de péremption est quasi-atteinte. » Résultat en rayons : des produits qui ne se gardent pas et qui poussent à l’achat de produit transformés plutôt qu’à cuisiner du frais, ce qui a un impact sur la santé. Plus encore: les magasins discount font aussi plus de roulements de stocks et génèrent donc plus de camions sur les routes, donc plus de pollution…

Moins cher, mais plus loin

Devant l’évidence, tout le monde y va de sa solution. Pour Michel, c’est assez simple : « Les petits plaisirs, si je vois que ça a trop augmenté, je les fais plutôt tous les quinze jours que toutes les semaines.» Christine Mirail, 63 ans, est venue du Grand-Quevilly pour faire ses courses au marché du Madrillet « parce que c’est très vivant ». Sa solution : « consommer moins » et opter pour « de la viande blanche plutôt que de la viande rouge, parce que c’est moins cher ».

Sur le marché du Madrillet comme dans les magasins, les Stéphanaises et Stéphanais font plus attention à leur porte-monnaie et calculent plus avant d’acheter. Photo © Jean-Pierre Sageot

Pour d’autres, les changements sont plus drastiques : « On se prive, on ne se fait plus plaisir. Plus de loisirs, plus de restaurant, on s’arrête au strict minimum, déplore Kadidja Bennouar. Maintenant, on regarde beaucoup plus les catalogues de tous les magasins. On fait un comparatif entre les grandes surfaces et les petits discounters. Ça nous amène à faire beaucoup plus de trajets. On fait une partie des courses dans un magasin pour acheter ce qui est moins cher là-bas, puis on va dans un autre pour prendre le reste. » Même chose pour Kayna Hamadache, 42 ans, qui sillonne le marché : « Avant avec vingt euros j’achetais mes légumes, mes fruits et tout le reste. Maintenant pour vingt euros je n’ai que les légumes. Ces temps-ci je fais toujours un premier tour de marché, je regarde les prix, j’essaie de les mémoriser. Après je fais un deuxième tour pour acheter ». La Stéphanaise vise aussi de nouvelles enseignes pour tenter d’économiser. « Dans les très grandes surfaces comme E.Leclerc, il y a plus de choix. Même en calculant, on sort avec une facture énorme. Maintenant je vais directement dans des magasins discount comme Lidl ». Un choix qui n’est pas forcément sans conséquences sur la qualité des produits (lire encadré 1).

Pourquoi tout augmente ?

À écouter les commerçants, tous les prix s’envolent à cause de la hausse du prix de l’essence (en partie liée au conflit ukrainien). De nombreux stands du marché – mais aussi la plupart des grandes surfaces –  s’approvisionnent soit au Marché d’Intérêt National de la Métropole soit directement au célèbre marché. Dans les deux cas, les commerçants récupèrent leur marchandise en camion. Les produits de ces marchés de gros arrivent eux aussi par camions. Or depuis août 2021, le litre de diesel a augmenté en moyenne de 24,70 % (source : prix-carburants.gouv.fr). Pour les grossistes, le transport des marchandises coûte plus cher. Il revendent donc plus cher pour continuer à gagner autant.

Une explication qui s’étaye auprès des commerçants qui produisent eux-mêmes leurs légumes : « Depuis notre arrivée sur le marché du Madrillet il y a quatre mois, on n’a pas du tout augmenté nos prix », explique une productrice qui vend ses légumes de saison cultivés à côté d’Elbeuf, à 20 km de là. Idem au Serres stéphanaises, où l’on trouve des fruits et légumes de producteurs locaux. « Contrairement au beurre, à l’huile et au sucre, le prix des tomates n’a pas augmenté, c’est toujours 4 euros le kilo », indique Michel, visiblement habitué du lieu. « Ce qui a augmenté le plus pour nous ce sont les bacs en plastique et le terreau, à cause du transport. On vient de passer commande pour le printemps prochain, on nous annonce 10 % de hausse », détaille Viviane Berment, co-gérante des Serres Stéphanaises qui voit tout de même une note d’espoir : « Ça fait plusieurs années que les gens se tournent vers le circuit-court pour les fruits et légumes, et ça monte en puissance. »

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