«Niquer la fatalité» : un spectacle pour “se sentir puissamment libres”

Photo: Emmanuelle Jacobson Roques

Parmi les événements locaux liés à la journée internationale des droits des femmes (le 8 mars), on trouve un spectacle progressiste et intime : Niquer la fatalité au Rive Gauche le 19 mars. Interview de sa créatrice et interprète, Estelle Meyer.

Qu’est-ce qui a déclenché l’écriture de votre spectacle ?

C’est la lecture d’un livre d’Annick Cojean, Une farouche liberté. On y lit le portrait de l’avocate Gisèle Halimi qui s’est battue toute sa vie pour le droit des femmes. J’ai adoré, j’ai trouvé qu’elle était plus moderne que moi. Elle tire tout le continent humain vers la modernité. Le spectacle est comme un dialogue, je suis partie d’une question : qu’est-ce que j’aurais eu à dire ou à demander à cette femme ?

On connaît souvent le nom de Gisèle Halimi sans forcément connaître sa vie et ses combats…

Oui ! Il faut redire à quel point c’est une grande protectrice. Elle vient de Tunisie, elle parle mieux français que nous, elle découvre le racisme de la société. Elle se bat pour Djamila Boupacha, militante du Front de libération national (FLN) d’Algérie qui, accusée de tentative d’attentat à Alger, est violée et torturée par les militaires français. Gisèle Halimi va la sauver. Elle retraverse la Méditerranée dans l’autre sens pour défendre ses sœurs, elle devance toutes les luttes de notre actualité. C’est aussi la première à parler de consentement, c’est elle qui a fait reconnaître le viol comme crime. Elle a passé son temps à faire évoluer la cause des femmes et l’anticolonialisme.

Quels éléments de sa vie personnelle vous ont également marquée ?

Elle est née en 1927 dans une famille pauvre et peu éduquée. Elle a fait une grève de la faim pour ne plus avoir à servir ses frères à la maison. À 14 ans, elle a fait péter son mariage forcé. Elle a fait des études de droit, elle fait entrer les premiers livres dans un foyer où tout est interdit.

Comment cela a-t-il résonné en vous ?

Elle raconte comment son père a mis trois semaines à annoncer sa naissance à son entourage. Pour lui, dire qu’il avait eu une fille était une fatalité. Ça résonnait avec mon histoire, celle de ma grand-mère. Quand sa fille est née, mon grand-père lui a demandé si elle n’était pas trop déçue. Gisèle Halimi est née en 1927, je suis née en 1985, elle pourrait être ma grand-mère, j’ai fait le parallèle.

Cela donne un spectacle éminemment féministe.

Être une femme sur Terre, ce n’est pas la même chose que d’être un homme. Ça vous fait une vie de seconde main. Vous êtes forcément diminuée. Ça m’est insupportable depuis l’enfance et là, quand j’ai lu la vie de Gisèle, née il y a un siècle, je me suis dit, quel espoir !

C’est cet espoir que vous souhaitez transmettre ?

Toute cette vitalité m’a profondément touchée. Je me suis dit : on va tout niquer ! Se donner la force d’inventer son destin, de l’arracher avec les dents, niquer la fatalité d’être femme, comme Gisèle. Il se trouve aussi que Niké, dans la mythologie grecque, est la divinité de la victoire. Le titre du spectacle est volontairement insolent.

Comment est-ce retranscrit sur scène ?

Un batteur et un pianiste m’accompagnent, la musique et les chansons apportent beaucoup. Dans la beauté d’un accord et la pulsation des rythmes, il y a de la poésie qui s’insuffle, ça apporte de l’air, ça permet de se décoller du réel et de sublimer les émotions autrement. Quand vient la célèbre plaidoirie du viol de Gisèle, c’est puissant, tu entends ça comme un rouleau compresseur. Le spectacle est à la fois un journal intime, de la chanson, un cri.

Comment sort-on de votre spectacle ?

Je vois la fin comme un grand rituel pour relier les spectateurs les uns aux autres, faire communion, se rattacher au reste de l’humanité. Après toutes les choses difficiles ou douloureuses abordées, il y avait comme une responsabilité d’ouvrir des pistes de consolation et de réparation entre hommes et femmes. Il y a l’idée en sortant de se sentir puissamment libres, d’avoir des armes pour se battre tout en les ayant déposées.

Infos pratiques

À Écouter

  • Une version radiophonique du spectacle d’Estelle Meyer, réalisé par Laurence Courtois, s’écoute en six épisodes sur le site de France Culture.
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